UN MONDE

En soi, le monde n’a que peu de sens. Il est là, alentours, opaque, indifférent. Le monde n’a que faire de notre présence comme de nos actions.

(…) voici l’étrangeté : s’apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier. Au fond de toute beauté gît quelque chose d’inhumain (…). L’hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. *
Le monde n’a d’existence qu’à travers nos perceptions.

Par ses vidéos et ses photos, Marie Maquaire donne un sens au monde. Qu'elle travaille à partir des paysages urbains ou qu'elle se perde en forêt, il s'agit d'ordonner le monde, de se l'approprier en lui donnant une direction.
Bâtir un monde propre, un monde qui n’appartienne qu’à soi, parce que vu par son œil, entendu par son oreille. Un monde éclairé par le frottement sensible. Construire sa place en ce monde, par son expérience singulière. Et en proposer les traces. 
Capter le mouvement que le corps inscrit dans le monde. 
Eclairer pour voir. 

La lampe du corps, c’est l’œil. ** 

Il est probable que deux personnes placées face au même paysage ne voient pas la même chose, ne perçoivent pas le même monde, n’entendent pas les mêmes sonorités. On est seul face au monde. C’est de cette solitude-là que témoigne le travail de Marie Maquaire, en offrant au spectateur le partage d’un point de vue.
Les apparences sont trompeuses : des lumières s'allument sur la façade d'un immeuble, des pas de course dans un sous-bois, un road-trip retrace des mois de déplacement, deux mains s'approchent, un chien passe. Derrière l'apparente banalité des images, un monde se révèle.

Les films comme les photos de Marie Maquaire se gardent bien de raconter une histoire. La narration est ailleurs, en lisière des images, dans l’imagination du spectateur. La narration appartient à qui veut bien la saisir.
Donner un sens au monde en partant de soi, de sa confrontation aux épaisseurs. Donner un sens en éclairant certains éléments tout en sachant pertinemment que les lumières multiplient les ombres.

A partir d'expériences intimes comme à partir de lectures récurrentes (Perec, Kafka, Carroll), Marie Maquaire ajoute du sensible à l'inquiétude. Le point de vue est celui d'une enfant qui n'en finit plus de chuter dans un rêve, celui d'un être claquemuré dans le terrier de ses craintes.

Et parfois, heureusement, le monde offre des cadeaux qu’il faut saisir, sans tenter d’en percer le mystère.

Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? ***


Eric Pessan, août 2015

______________________________
* Albert Camus, le Mythe de Sisyphe
** Saint Matthieu 6.22
*** Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles